Suite au succès de notre article sur les opérateurs télécoms en France nous avons décidé d’aller plus loin. Dans cet article, nous étudierons les spécificités de notre industrie nationale (l’industrie des télécoms) en la comparant à nos voisins européens; avant d’en constater les conséquences pour les consommateurs, les opérateurs, et l’économie française globalement.
Une compétition intense dans une région morose
Le marché français des télécoms a de nombreuses spécificités vis-à-vis de nos voisins européens ou même aux États Unis. En effet, il y a eu une convergence très tôt entre le fixe et le mobile; les opérateurs majeurs français, contrairement au reste du monde, sont à la fois présents sur les marchés des télécoms fixes avec les box, et le marché mobile. En Allemagne, Deutsche Telekom règne en maître sur le marché fixe avec 46% des parts du marché; tandis que Vodafone et T -Mobile se partagent le marché mobile.
Au Royaume Uni, c’est British Telecom qui contrôle le fixe tandis que Everything Everywhere domine le marché mobile. Cependant, il faut noter que la convergence fixe mobile se met en place progressivement à l’étranger.
De plus, le marché français se distingue de par sa compétitivité extrême. Il y a 4 opérateurs majeurs, soit le même nombre qu’aux États-Unis, un marché pourtant 5 fois plus important. Les autres marchés européens sont aussi moins saturés; ce qui fait que les opérateurs y sont beaucoup plus solides financièrement pour faire face aux opportunités et aux défis de l’avenir. Ainsi, Deutsche Telekom est valorisé le double d’Orange.
Enfin, l’économie numérique européenne se porte mal. Tandis que le numérique croit deux fois plus vite que l’économie mondiale, le chiffre d’affaire de l’économie numérique européenne a diminué de 16% de 2007 à 2013.En effet, cette croissance du marché mondial profite surtout aux géants GAFAM* américains et aux asiatiques comme Samsung et Alibaba.
L’Europe aurait bénéficié d’une croissance de 3% annuels supplémentaires si elle avait réussi à développer des acteurs OTT* locaux.
Une « folle » guerre des prix, affaiblissant l’investissement
Cet excès d’opérateurs télécoms français a plusieurs effets. Tout d’abord, l’arrivée de Free a relancé une guerre des prix qualifiée de « folie » par Stéphane Richard; PDG d’Orange et qui se poursuit toujours aujourd’hui au regret de l’État.
Ainsi, les prix des abonnements télécoms fixe et mobile français ont chuté de 30% depuis 2010, et sont parmi les plus bas du monde.En 2017, Free a lancé une autre offensive redoutable en octroyant la 4G illimitée sur ses forfaits mobiles pour les clients équipés d’une freebox. Ces prix sont jusqu’à deux fois moins chers qu’en Allemagne ou aux États-Unis.
La part des dépenses télécoms des foyers français est très faible comparée au reste de l’Europe et diminue depuis plus de 5 ans. Il faut noter que c’est un cas unique au regard des prix pratiqués dans d’autres industries réglementées comme l’énergie.
Si la compétitivité du marché des télécoms français profite aux consommateurs, il n’en est pas de même pour les opérateurs. En effet, les revenus des services de communications électroniques ont chuté de 8 milliards d’euro, soit 20%, de 2010 à 2015.
La baisse de prix a lourdement fragilisé les opérateurs français, limitant les investissements stratégiques et longs termes sur l’infrastructure. Il y a donc des conséquences directes sur la disponibilité des services d’avenir (4G, 5G, fibre optique) et donc pour l’économie française.
D’après le cabinet de conseil Arthur D. Little, 1€ investi dans les télécoms entraîne un gain de 6€ de PIB, et 3€ de recettes pour l’État. En complément, les opérateurs français sont sujets à des impôts spécifiques à l’industrie qui peuvent s’élever à plus du tiers de leur niveau d’imposition global ajoutant une pression supplémentaire.
Quel avenir pour l’industrie ?
Pour redonner de la robustesse à nos acteurs français, il a longtemps été question de repasser à 3 opérateurs nationaux. C’est donc Bouygues Télécoms, le plus petit des quatre qui était en discussion pour un rachat d’abord par SFR-Numéricable, puis par Orange.
Cependant, les négociations à quatre opérateurs (les 3 restants devant se partager Bouygues) ont été trop difficile et aucun accord n’a été trouvé.Le gouvernement et l’Autorité de la Concurrence n’y étaient pas non plus favorables, dans la mesure où cela aurait entraîné une montée des prix et donc une baisse du pouvoir d’achat des français et des entreprises.
On peut cependant s’attendre à d’autres manœuvres, du moins chez les opérateurs alternatifs.
Consciente des inégalités numériques croissantes sur le territoire national, l’action publique prend le relais de l’investissement. Les départements français investissent de plus en plus dans des Réseaux d’Initiative Publique (RIP); souvent par des Partenariats Privé Public (PPP) pour accélérer la montée en débit des entreprises et des foyers délaissés.
Par ailleurs, l’Union Européenne ne souhaite pas que les États membres prennent le même retard dans l’installation de la 5G que pour les anciennes 4G et 3G. Elle souhaite donc mettre en place un plan coordonné avec l’appui des opérateurs majeurs, des gouvernements et des autorités nationales des télécommunications, comme l’ARCEP en France.
Il faut ajouter à cela le Plan THD français, mis en place par l’Agence du Numérique. Ce plan coordonne à l’échelle française une montée en débit via l’investissement public et l’incitation des acteurs privés.
En bref
Si la privatisation et la mise en concurrence des services télécoms sont nécessaires, elles apportent aussi leur lot de dommages collatéraux.
En effet, le marché des télécommunications est une industrie critique pour le développement d’une région. Les diverses réglementations ont pénalisé l’essor du numérique en France.
Celle-ci se classe 24ème dans le monde, loin des « champions du numérique », objectif proclamé par les gouvernements successifs depuis 2005. Heureusement, les opérateurs alternatifs viennent en renfort, délivrant leurs services sur les positions délaissées par les opérateurs historiques. Ils participent ainsi à l’effort national de réduction des inégalités économiques via l’effacement de la fracture numérique.
*GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
*OTT : Over The Top : service médias par internet